jeudi 29 décembre 2011

Critique musicale

La dure réalité.



Voilà qu'un jour après avoir passé les concours d'école de commerce et autres études rassurantes pour les parents, je décide coûte que coûte que les bureaux ne sont pas faits pour moi, que j'ai la nausée à penser que je pourrais m'ennuyer dans un tel métier et que je rejette toute idée d'un destin tracé. Bien bien bien. Je me dis allons-y, journalisme ! Vous avez sans doute du le remarquer également, être journaliste ou travailler dans la "com'" c'est très tendance. C'est tout et n'importe quoi remarquez. Oui mais justement moi je suis précise : quand je serai grande je serai pas Barbie Princesse, je serai journaliste musicale. BAM. Tout ça parce que Bob Dylan m'a tapé dans l'oeil et que la musique... bah j'aime ça. Non c'est vrai avoir un métier qui consiste à écrire sur des albums, aller à des concerts, se voir offrir les pass pour les festivals, ça a une certaine gueule pardis ! C'est parti je serai journaliste musicale, pour ça pas le choix il faut bouffer du disque, du classique, du jazz, du regae, du vrai rock pour affiner l'oreille. Y'a pire comme apprentissage. En avançant en âge, le décor s'assombrit quelque peu : tout le monde veut devenir journaliste, tout le monde s'y connait mieux en musique, journaliste de musique à part Manoeuvre c'est plus synonyme de pigiste que journaliste (comprendre "tu ne gagneras jamais d'argent"), et merde tu vas passer ta vie à écouter des albums et en parler avec toute l'intelligence que tu crois avoir pour utiliser des mots compliqués. C'est vrai qu'en je lis les Inrocks, je me dis que bordel j'en suis loin de ma maîtrise totale de l'industrie musicale. Le pire c'est que j'en serai toujours loin, impossible de tout savoir, tout connaître. Avec internet ce sont des centaines de titres en plus tous les jours, voir des milliers dans le monde entier : un gouffre béant infranchissable en résumé. Pas grave coûte que coûte je serai journaliste musicale. J'ai du aussi passer la phase "musique c'est futile", non en vrai c'est cool, c'est super "cool". Mais ça existe ? Parce que les mecs journalistes de musique aujourd'hui ça court les rues, je suis journaliste de musique, tous les bloggers, pigistes et compagnies... BREF looooseuse totale de la Bb déprimée que vient achever un article d'Elise Costa, auteur de "Comment je n'ai pas rencontré Britney Spears.", sur le très bon site LEPLUS du Nouvel Obs. Tableau dressé. Ci-dessous la cause de mon suicide professionnelle à peine sortie du bac :

"Nous pensions être tranquilles, avec les fêtes. D’ailleurs, le seul truc qui a tourné un peu partout sur Internet cette semaine, c’est cette (fausse) liste de prénoms relevés soi-disant par une équipe de sages-femmes et qui date déjà d’il y a quelques mois. Pour le reste, rien d’exceptionnel : destops fails, des anthologies de mèmes, des compilations des "meilleures vidéos qui ont fait le buzz en 2011". Autant dire qu’entre la dinde et la soupe de potiron, ça s’avalait comme un pousse-café. Puis le tumblr "Je Suis Journaliste Musical" est arrivé.

Alanis Morrissette aurait trouvé ça ironique : tout le monde s’est jeté dessus comme des morts de faim. Le site compile les plus belles phrases rédigées par les critiques musique de ce pays (la plupart écrivant étrangement pour Les Inrocks [1]), dans un style impeccable mais à côté de la plaque. Une plume érudite, mais saugrenue. Comment expliquer un tel dialecte ? Ecrire sur la musique n’est-il pas devenu absurde en soi ?

La critique musicale est un métier de passionnés. Il faut en vouloir pour se lancer dans une niche où la pige est souvent payée au lance-pierre, et où les principaux avantages – pour ne pas dire les seuls - sont les disques gratuits et les pass presse en nombre limité. Mieux vaut avoir les reins solides si l’on veut faire sa place dans un canard autre qu’un webzine de potes alcoolisés et faire son beurre. C’est souvent une histoire d’amour à sens unique, où la musique joue le rôle du salaud qui, à chaque émoi mélodique, distille l’espoir dans les veines de l’autre.

Livres vs. presse

Les livres portant sur la musique (de l’œuvre de Nick Tosches à celle de Nik Cohn en passant par Greil Marcus et son fameux "Lipstick Traces"), même s’ils sont écrits la plupart du temps par des journalistes (comme Benoît Sabatier [2]), sont très différents de la critique musicale pure, que l’on retrouve découpée en tranches de 1500 signes dans les magazines spécialisés. L’approche long format peut alors être universitaire, analytique, biographique [3], romancée, humoristique [4], mais son but premier n’est jamais de faire vendre des disques.

A l’inverse, le boulot de la presse n’est pas simplement de débattre de la musique, mais de faire découvrir de nouveaux artistes, voire, si possible, d’amener les lecteurs à financer une partie de l’industrie du disque. Un job justifié en soi, mais qui tend à disparaître. Et pour cause : si les labels se sont excités la bile face aux "mutations inéluctables de la production et de la consommation du disque depuis Internet", personne ne s’est inquiété de savoir ce qu’il adviendrait de la presse musicale, celle qui autrefois enchantait les esprits grâce aux plumes implacables de Lester Bangsou Legs McNeil. Les journalistes musique, tels que Philippe Manœuvre en France, ne deviennent plus des personnalités médiatiques, mais carrément des traîne-savates [5]. Tout le monde s’en contrecarre.

La critique musicale est un genre où l’esbrouffe peut rapidement prendre le dessus : sous couvert de pédagogie, elle sert les intérêts de ceux qui pensent avoir la plus grosse, et qui aiment à l’exhiber. En réalité, "les vrais savent", et ceux qui s’y connaissent le plus sont bien souvent ceux qui font le plus profil bas. Mais elle ne saurait être résumée à ça.

Masturbation intellectuelle ?

Bien sûr, le tumblr "Je Suis Journaliste Musical" pointe du doigt ce travers qu’ont certains pigistes de se regarder écrire, de se masturber intellectuellement entre initiés et de se gargariser de phrases verbeuses et de caqueteries de poseurs. Pourquoi et pour qui écrivent-ils ? Le style littéraire n’est pourtant pas incompatible avec l’accessibilité. La critique ciné américaine Pauline Kael était par exemple réputée pour sa verve féroce et intelligible. Quand le discours devient hermétique, il perd sa raison d’être.

A partir de là, deux théories entrent en jeu. La première est de se dire que si la critique musicale est ce qu’elle est aujourd’hui, si elle n’est plus créée que par les gens de la profession pour les gens de la profession, c’est peut-être aussi parce que les auditeurs se sont désintéressés de la musique dite "de qualité". Sûr que lorsqu’on voit, comme hier sur M6, que le single français qui s’est le mieux vendu durant les années 2000 est cette déjection d’ "Un Monde Parfait" d’Ilona Mitrecey, y a de quoi perdre la foi. Mais alors c’est prendre le problème à l’envers : 1/ Ilona Mitrecey a certes vendu des caisses de son morceau écrit dans les toilettes d’une station-service de Cholet, mais elle est condamnée à rester une vaste blague, avec un titre acheté au supermarché derrière les saucissons pour calmer Patrick qui hurle dans le magasin; 2/ peut-on tirer vers le haut en écrivant des choses telles que :


A la question "à partir de quand une critique devient pompeuse ?", la seconde théorie peut être une réponse : quand le manque d’inspiration se fait sentir. Quand les phrases ont un rythme certain, mais sont vides de sens. Elles stimulent nos sens mais sonnent creux. Ce qui est un comble, quand on sait que nombre de journalistes dénoncent la même chose chez certains artistes ("mélodie sublime, paroles creuses"). La citation prise ci-dessus en est un parfait exemple : si la première partie de la phrase peut être à la rigueur compréhensible, l’autre moitié ne veut pas dire grand-chose.

La difficile retranscription du ressenti

On peut dire que la musique d’Erika M. Anderson (EMA) est intimiste, mais la formule "le côté hanté de son americana de chambre" a beau être jolie, elle ne veut rien dire. A moins, comme nous le faisions en classe de lettres, de puiser au fond de notre imagination farfelue un sens aux textes ésotériques des grands auteurs (de la même façon que l’on nous demandait de trouver une explication obscure à un texte limpide). Mais qui est le plus idiot : le lecteur qui ne comprend rien ou le critique qui a fait en sorte qu’il ne comprenne rien ?

A la décharge de ces journalistes, il faut reconnaître que recevoir en moyenne 40 disques par mois, en écouter le double et n’en chroniquer qu’une dizaine environ n’est pas une mince affaire. Là où la musique possède un nombre d’accords limités, l’écrivain ne peut se contenter de cinquante mots de vocabulaire pour raconter un disque bien que son texte doit être calibré, factuel, descriptif. Et comment transmettre une émotion ressentie au travers d’un album dans ces conditions ?

Parler de musique n’est déjà pas chose aisée : comment peut-on partir d’une sensation personnelle, et en faire une généralité ou supposer du moins que tout le monde ressentira la même chose en l’écoutant ? De plus en plus, à l’ère de l’instantanéité, tout le monde peut déposer sa petite crotte sur la toile, les mélomanes préfèrent encore télécharger un disque en streaming ou écouter quelques morceaux d’un album sur des sites comme SoundcloudGrooveshark ou Spotify, plutôt que de lire les conseils d’un journaliste. On peut donc comprendre que le journaliste, lui, ne sait plus quoi faire pour attirer le chaland, être dithyrambique ou être grossier, partir dans des envolées lyriques ou déclarer que les auditeurs sont des moutons…

La critique musicale n’est pas une matière enseignée dans les écoles de journalisme, elle ne correspond pas à aucune règle. Le seul moyen de devenir à peu près pro en la matière est d’écouter un maximum de disques, de toutes les époques et de tous les pays, d’aller sur le terrain. Et même en se documentant du mieux que l’on peut, même en se tenant au courant de toutes les manières possibles (Internet, festival, bouche-à-oreille, presse), la vérité est impossible à atteindre. "Ecrire sur la musique, c’est comme danser à propos d’architecture" ("writing about music is like dancing about architecture"), dit l’adage

Pour autant, faut-il s’en passer ? Si les bouquins relatifs à la musique ont une plus grande légitimité, c’est peut-être parce qu’ils ne cherchent pas à être objectifs. Leur force est précisément de nier cette foutue objectivité, de parler de musique à partir d’un seul point de vue, et dans un contexte particulier. La solution, ce ne serait donc pas de faire sauter la critique musicale parce qu’elle est aujourd’hui  ampoulée, mais bien de lui laisser plus de place pour qu’elle ne le soit plus. En l’absence de contrainte, de limite de temps et d’espace, le discours y gagnerait en clarté. Nous n’appellerions plus ça "critique musicale" mais "nouvelle musicale".

Les albums ne seraient plus notés mais feraient l’objet d’un récit complet à la première personne. L’auteur ne parlerait jamais de "meilleur artiste de sa génération". Il ne se sentirait plus obligé de faire des jeux de mots de pépé. Il écrirait des articles comme "POURQUOI J’AI EU LA NAUSEE EN ECOUTANT THE RESIDENTS UN SOIR D’ORAGE". [6] Au pire, le lecteur trouverait sa réaction extrême ou ridicule ou étrange. Au mieux, il aura vraiment envie de se faire sa propre idée sur le groupe. Et dans tous les cas, il a besoin qu’on lui en parle. Adieu chroniques riquiquis, place aux dossiers musique.

La critique musicale est morte, vive la critique musicale !

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[1] "Etrangement" n’est pas sarcastique ici : le tumblr gagnerait à diversifier ses sources, "Les Inrocks" n’ayant pas le monopole de la critique musicale alambiquée.
[2] A lire, si ce n’est pas déjà fait et que vous avez plusieurs heures devant vous : "Nous Sommes Jeunes Nous Sommes Fiers", aux éditions Hachette.
[3] A lire, si vous avez la musique mélancolique, l’excellent "Bande Originale" de Rob Sheffield.
[4] A lire même si vous n’êtes pas fans d’Heavy Metal, le premier bouquin de Chuck Klosterman, "Fargo Rock City".
[5] Cf. la triste histoire de Daniel Vermeille, ancien journaliste de "Rock&Folk" devenu SDF et mort dans l’indifférence générale.
[6] Titre tiré d’un fait réel."





Alors ma chérie ? Tu veux toujours devenir critique musicale ? 
Ahahah l'enfer... 
Alors j'espère que dans ma modeste "crotte posée sur la toile" pour commenter de la musique je m'exprime mieux (facile je suis pas intelligente ça permet aux gens de me comprendre... je fais même pleins d'affreuses fautes difficile à ma lecture, ce qui n'arrange rien). Alors passion si grande que ça ? L'avenir me le dira, mais une pige de temps en temps pour sa passion et un "vrai" métier sont peut-être quelques trucs à considérer sérieusement. 

A l'amour de la musique, ce vieil amant détestable. 







ps : j'ai mis mes petites phrases préférées en gras et en rouge dans l'article - parce que je sais aussi commenter les articles d'intello qui critique la critique - parce que ça va loin...

L'article est parfait, à lire en vrai ICI, et le tumblr "Je suis journaliste musical" où j'ai rigolé à chaque phrase tordue de ces érudits du sonotone ICI 



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