Couverture du livre, Patti et Robert pour leur deuxième anniversaire à Coney Island |
C'est compliqué de quitter un livre. Encore plus un livre qu'on a aimé. Alors pour en faire le deuil, car mon emploi du temps "livres" est on ne peut plus chargé - je vous en reparlerai -, j'ai voulu écrire. Quoi de plus normal après la lecture d'un texte de Patti Smith ?
Je ne sais moi-même pas où je veux en venir, j'ai juste besoin d'en parler. Quoi de plus normal que de vous livrer mes pensées ici ?
"Just Kids" de Patti Smith était dans ma bibliothèque depuis un bon bout de temps. Allez savoir pourquoi je ne m'y étais jamais précipitée. Patti Smith a évidemment rythmé mes nuits d'adolescente avec "People have the power" et "Because the night", c'est vous dire le plus de culture que j'avais sur sa personne (ces deux chansons étant ses deux tubes). Elle avait également fait partie de ma connaissance de Bob Dylan, phase que j'ai entretenu durant tout mon lycée. Nommée la Bob Dylan au féminin, je ne la connaissais que par le culte qu'elle portait au même chanteur que moi. A part ça, je la connaissais par son look... si emblématique. Mais le profil que je m'en faisais s'arrêtait tout net là.
Hall Street, Brooklyn, 1968 |
C'est donc sans appétence particulière que j'ai ouvert les pages de "Just Kids" un jour avant mes vacances, le vendredi. Autant vous avouer tout de suite que le dimanche, le livre était terminé et des larmes avaient coulé. Je ne suis pas critique littéraire et je ne sais pas comment l'exercice doit se dérouler. Tout ce que j'ai envi de vous raconter, c'est l'effet que m'a fait ce livre. Les frissons que j'ai eu, littéralement, en le parcourant. Et le monde que j'y ai découvert.
"Just Kids" évoque la relation entre Patti Smith et Robert Mapplethorpe. A part la rétrospective, que j'ai loupé au Grand Palais et désormais je m'en mords les doigts, et ses photos de fleurs ultra-sexuelles, Mapplethorpe m'évoquait ce type un peu effrayant en noir et blanc derrière une canne surmontée d'une tête de mort. C'est vous dire dans quel état de naïveté, j'entamais ce livre. Je souhaite y rester aujourd'hui alors que j'ai terminé le livre car ce qui m'a importé durant ma lecture c'est cette amitié, franche et sincère, entre les deux protagonistes. Après avoir écrit ce texte, et connaissant mon tempérament pour l'obsession, je m'engouffrerai dans des textes et interviews qui me feront certainement découvrir la part obscur de ces deux êtres. En attendant, aucune objectivité, je jette mon âme dans ce livre si poétique.
23e Rue Ouest, escalier de secours, 1970 |
Je ne vais pas vous raconter le livre, lisez leur histoire elle est merveilleuse, romanesque, épique et orageuse. Evidemment c'est aussi leur histoire qui sert la prose de Patti Smith, la séduction de Robert, son immense intelligence et leur attraction indéniable. Mais non, je ne vais pas vous raconter à quel point ils étaient exceptionnels. Je vais vous raconter l'écriture de Patti, cette poète incontestée qui n'en avait clairement rien à faire de devenir chanteuse. J'ai l'impression de reconnaître les êtres d'exceptions qui sont sexy à souhait "dans leur cerveau". Patti Smith, comme Bob Dylan ou Eddie Sedgwick avant elle, m'a fait l'effet d'une bombe de culture et de délicatesse. Son phrasé est simple - et dieu que pour une nana qui tente en vain de gagner sa vie "en écrivant", je reconnais que l'exercice est périlleux, la difficulté se trouve dans la simplicité - descriptif et nourri d'une sincérité sans faille. Elle n'esquive rien, on sent bien qu'elle se met à nu mais elle sait rester pudique et élégante. Comme lorsqu'elle évoque son mari, Fred Sonic Smith et qu'elle m'arrache une larme : "De celui qui allait devenir mon époux, je dirai simplement ceci : c'était un roi parmi les hommes, et les hommes le reconnaissaient." Tout son ouvrage est teinté du même rythme : la vérité sans aucun jugement. Elle ne juge jamais Robert Mapplethorpe, l'homme de sa vie et grand photographe mort du Sida en 1989. Elle raconte la misère et la faim, les junkies du Chelsea Hôtel, le tapin de Robert, les gobelets remplis de pisse dans sa chambre d'hôtel, la tromperie de son ex musicien, sa rencontre avec Ginsberg ou encore sa rencontre avec Bob Dylan avec une grâce infinie. Non mais qui parlerait de pisse dans un gobelet avec une telle délicatesse, un tel mystère et un sens du romantisme indéniable ?
Trois portraits de Patti Smith par Robert Mapplethorpe |
Elle égrène également son livre de rencontres. Et pour une nana qui a scanné tous les livres de cette époque avec attention, j'adore qu'on me raconte Jim Morrison, Jimi Hendrix, Janis Joplin, Andy Warhol ou la Factory, Bob Neuwirth... quelle époque. Au Chelsea Hôtel où elle griffonnait de la poésie, Patti Smith a eut comme professeurs Gregory Corso, Allen Ginsberg et William Burroughs. Elle vient à vous faire penser qu'à 23 ans, vous avez clairement raté votre vie. Je me suis donc promise de lire et relire ces trois poètes. Bref j'ai été ravi de lire ce livre, de m'y pencher et d'en rêver. La nuit dernière, j'ai fait un rêve dément avec Patti Smith et je suis certaine qu'elle aurait aimé l'idée.
Enfin, petit questionnement de ma part, comment peut-on avoir une telle mémoire ? Comment peut-on retranscrire de telles dialogues ? Comment peut-on pointer certains moments comme décisifs ? Je sais bien qu'elle cite souvent ses carnets, qu'elle a du relire et relire. Mais dire qu'à ce moment où Robert Mapplethorpe prononce ces mots, bim, ils se font confiance, ou sur telle phrase, ils savent que c'est un accord tacite pour la vie ou à ce moment-ci, elle a été mis sur la voie du rock'n'roll... Et j'aurais mille exemples dans ce genre qui, en bonne journaliste que je suis, me faisait me demander d'où tirait-elle ça ? Comment s'en souvenait-elle ? Elle a donc souvent piqué ma curiosité par sa très grande exigence de rendre son vécu intact.
Et aller savoir pourquoi, la lecture de ses mots, son phrasé et son rythme, m'ont bien souvent fait frémir et tressaillir. Parce qu'on assiste à une histoire d'amour poignante, à deux destins hors normes, à la création d'un livre témoignage par une poétesse punk.
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