mercredi 18 novembre 2015

Bien sûr que oui, nous avons pleuré









Comment, lorsque la plume est notre métier, ne pas prendre son clavier pour exprimer sa peine, son incompréhension et sa rage ? Cet espace-ci est un fourre-tout un peu catastrophique, souvent maladroit. Loin du journalisme et de son objectivité présumé mais impossible, il est mon endroit. Mon cocon de conneries et de beauté. Un carnet à coeur ouvert, un journal intime qui parle de tout sauf de mon intimité... Bref, j'avais tant envie d'écrire. J'ai tenté lundi, puis mardi. Et enfin mercredi, ce soir.

Le WE avait bien commencé. Je suis partie à Naples dans l'après-midi, arrivée là-bas, j'ai reçu un mail extraordinaire de ma rédactrice en chef qui m'a mise sur un petit nuage. Ensuite, l'enfer. Evidemment ce n'était pas le WE que j'attendais. Personne ne s'y attendait. Et la difficulté d'être loin de Paris a pris alors tout son sens. Moi qui passe la plupart de mon temps à convaincre les "provinciaux" que Paris est la ville la plus incroyable du monde que je ne quitterai jamais... L'exercice se relèvera d'autant plus difficile désormais.

J'ai beau écrire, effacer, repenser mes pensées, c'est un bins pas possible sans queue ni tête. Tantôt je suis grave et je découvre que ma vie pourrait s'arrêter, d'habitude j'aurais tant rigolé à l'évocation de cette phrase ou même pensé l'écrire, je pense à la mort comme jamais je n'y ai pensé. Parfois je me surprends à rigoler comme lorsque le hashtag #jesuisunchien a envahi Twitter ou que, ma bougie dans la main place de la République pour me recueillir, je ne trouvais aucune place pour ma trop grosse bougie. Petites parenthèses dans cette lourdeur ambiante.

Paris va bien. Paris s'en sortira toujours. Nous aussi, mais plus lentement. Les rues sont pleines, le métro également et les terrasses reprendront bientôt leurs vies, j'en suis certaine. J'ai hâte de m'asseoir à une terrasse, l'été prochain, sans même penser à ce vendredi 13. Mais en ai-je vraiment envie ? C'est la possibilité du temps qui guérit tout qui me protège. Je sais que cela est possible : je suis fataliste mais lucide. Aux lendemains des attentats de "Charlie", je pensais inconcevable de passer place de la République sans y penser. Et ça c'est fait... Conclusion : nul doute que nous oublierons. Et c'est exactement ça qui me rend encore plus triste. Je ne veux pas oublier, je ne veux pas parler d'autre chose, je veux ressasser, lire, lire, lire, comprendre, écouter... 5 jours après, cela me semble normal.



Alors oui je suis là, oh oui je suis bien là, derrière cet écran. Je me ressasse le visage d'un disparu rue de Charonne que j'avais rencontré. Je tente de ne pas l'oublier, je me repasse inlassablement cette soirée. Mais un jour, j'oublierai. Ce que je n'oublierai pas, c'est d'aller picoler, boire des verres, parler bien trop fort, me faire encore engueuler parce que je parle - non je gueule, j'hurle - parce que je dis ce que je pense, parce que je suis "une grande gueule". Je n'oublierai pas de crier durant des débats politiques de comptoir ou de m'offusquer devant des histoires d'amour dégueulasses. Je n'oublierai pas de parler de cul avec mes copines au comptoir et un mauvais rouge à 14 euros la bouteille dans nos verres. Je n'oublierai pas d'avoir les lèvres rouges de trop de vin bu, les doigts jaunis de trop de clopes fumées, les yeux vitreux de trop d'alcool ingurgité. Je n'oublierai pas de me faire virer de boîte, d'aller au cinéma, d'écouter de la musique à fond, d'aller à des concerts, de commander de la cochonnaille et du bon fromage sur une terrasse parisienne, de rigoler, rire, rigoler, rire. Etre jeune.

Contrairement à "Charlie", il n'y a pas d'explication, de message à porter, de cause à soutenir. C'est juste nous VS la terreur. Et je ne me sens pas franchement très courageuse comme nana. J'ai un besoin de rationalisation énorme dans ma vie quotidienne, parce que je déteste le drama et le too much. Force est de constater que nous sommes en plein dedans mais cela s'appelle la réalité.
J'ai juste envie d'aller boire un verre et discuter dehors, dedans, partout, avec mes amis, ma famille et mes collègues. Je ne pense à rien. Rien n'est logique. Je pense à tout. Les petits moments de détente me font du bien. Déjà, je n'ai plus envie de vomir comme ce WE. Mais encore j'entends ces voix incessantes des chaines continues qui me révulsent. Je n'ai pas pour autant envie de calme et de campagne. Je ne veux pas quitter Paris, je veux l'étreindre et lui faire des câlins. Elle était belle ma ville quand je suis allée place de la République dès que je suis rentrée de Naples pour aller l'embrasser. Pensez à ceux qui sont morts et leurs proches, me ressasser l'enfer de ce qui se passe.

J'ai lu un témoignage - j'ai maladivement lu tous les témoignages, l'espèce humaine dans mon genre est avide et dégueulasse - sur L'Humanité qui disait - en gros - un moment ça va s'arrêter, ce n'est qu'un mauvais film, c'est bon, stop ! Et puis non, les kalachs étaient bien là. Les morts aussi. Le sang partout. Je suis amorphe et léthargique, comme si mon corps était en transition. J'apprends qu'en plus de pouvoir mourir d'une agression, d'un accident de voiture, d'une maladie grave, je peux me faire buter. Là. Partout. Ce n'est pas que ça me terrorise, c'est qu'il faut que je l'intériorise.



J'ai tant de choses à écrire que j'aimerais sortir sans convulser des pensées éparpillées. J'aimerais être logique, trouver des réponses. Florilège de bredouillage-pagaille-confusion-baragouinage : je me révolte de la politique française et des bombes en Syrie / je m'indigne des images du Bataclan partagées / je relis tout le temps les noms âges et métiers des morts / je me demande si je choisirai ma table "stratégiquement" la prochaine fois, en terrasse / je me demande comment gèrent les psys / vont-ils démanteler les réseaux ? / est-ce que ce sont tous des idiots finis à Daesh ? / est-ce que le Bataclan va réouvrir ? / comment vivre quand on devait y être ? / pourquoi eux ? / qu'est-ce qu'il faisait là-bas ? / quand est-ce que le film Made in France va sortir ? / insupportable filtre Facebook du drapeau français / quel sera mon prochain concert ? / comment faire attention ? / pourquoi déjà ? / les affiches Charlie ne sont même pas parties / on est tous du 10e ou du 11 / tout le monde connait quelqu'un là-bas, qui y était /

Désormais, quand j'écoute mes playlist Deezer, j'y vois des coïncidences de paroles et de chansons... Comme lorsque, dès mon retour mardi matin, j'ai entendu : "Je me sens un peu perdu aujourd'hui. Je me sens les cheveux gris. Si on recommençait la vie." Parce que c'est justement ça l'idée : le 13 novembre, j'ai vieilli.



1 commentaire:

Anonyme a dit…

Ma chérie, quelle honte ce monde que je suis censé te laisser, ce monde que je t'ai fais croire beau et humain! Moi aussi j'ai pleuré, moi aussi j'ai eu peur.
Mais sache que je n'ai peur que pour toi, pas pour moi, que demain si c'est nécessaire je serais là avec mes petits bras pour te protéger voir plus ...
Rendors toi, demain ne sera plus jamais pareil mais c'est à moi d'assurer toutes ses erreurs que j'ai laissé faire, garde une part de ta jeunesse pour avancer.
Ton post est magnifique, tu ne pourras pas changer ce que l'on a fait et très mal fait, mais que cet inconnu dont tu parles te portes à croire qu'il existe aussi des femmes et des hommes bien.